Les Cahiers d'Adèle est une revue culturelle thématique à parution aléatoire. Chaque numéro explore un thème déterminé par la triade du comité éditorial, et proposé aux différents auteurs par le biais d’appel à contributions. Le projet des éditions Adèle & Otto s’articule autour d’une volonté de créer un objet imprimé constitué de productions originales, tant littéraires que graphiques.
« Il ne faut pas voir la réalité telle que je suis »
Au fil des parutions, Les Cahiers d’Adèle développe un thème qu’elle n’interroge que dans la stricte mesure où celui-ci permet d’appréhender le monde de diverses manières. Les Cahiers d’Adèle décline en monochromie essais, poésie, nouvelles littéraires ou illustrations au fil des diverses contributions.


Les Cahiers d'Adèle is a randomly published cultural magazine based in Toulouse (France).
"Do not see reality as I am"
Troughout its publications, Les Cahiers d'Adèle develops a theme which it only questions strictly in cases where this facilitates an understanding of the world of various means. Les Cahiers d'Adèle publishes in monochome compositions, poetry,
short stories or illustrations trough the various contributions.

samedi 29 octobre 2011

Marilyn Monroe par Truman Capote, 1959


Marilyn Monroe

Marilyn ? Juste de la terre d’argile, vraiment ; une divinité pas très nette — dans le sens où un banana split, ou un cherry jubilee, est une chose pas très nette — mais divine.
Des lèvres scabreuses, une chevelure inondante, des pattes de soutien-gorge glissantes, le tortillement rythmique de volumes toujours en mouvement qui luttent pour plus d’espace dans l’infini de son décolleté, tels sont ses emblèmes, ses attributs, si propices à la caricature qu’on était en droit de supposer qu’ils l’auraient rendue aussitôt identifiable dans le monde entier ; or, dans ce qu’on appelle la vie réelle, Marilyn n’est pas facile à identifier. Elle évolue dans les rues de New-York sans être en butte aux regards, fait signe à des taxis qui passent leur chemin, se fait servir un jus d’orange à la terrasse d’un café Nedick’s, et le serveur ne se doute aucunement que sa cliente fait l’objet de quelques-unes des plus ambitieuses ambitions. En fait, plus souvent qu’en mainte autre circonstance, il faut que l’on nous dise que c’est bien Marilyn, car elle a l’air, pour qui la voit fortuitement, d’un simple spécimen, entre tant, de la geisha américaine, de la chérie tarifée, de la mignonne de boîtes de nuit, dont la carrière s’étend des cheveux décolorés à douze ans jusqu’à un homme marié ou trois, confisqués aux épouses quand elle aura vingt ans.
Mais si conforme au  « type » que soit Marilyn par certains cotés, elle n’y appartient pas véritablement : elle manque trop de dureté ; et puis elle est capable d’une grande concentration en matière de sensibilité, le vrai secret pour qu’un talent quelconque puisse agir. Ce qui est le cas chez elle. Le personnage qu’elle joue, silhouette de petite abandonnée à la gaminerie pathétique, est d’une santé et d’un charme convaincants, faciles à comprendre, en raison du très faible écart entre son image cinématographique et l’impression qu’elle donne en privé. Or l’une et l’autre de ces personnalités tirent leur séduction d’une même circonstance : sa nature d’orpheline, en effet ; tant en esprit qu’à la lettre. Elle a reçu la souillure et aussi l’illumination, les stigmates de la mentalité orpheline : ne se fiant à personne, ou si peu, elle trime comme une paysanne pour plaire à tous ; elle veut faire de chacun de nous son cher protecteur. Et nous, par conséquent, nous, son public et les gens qu’elle connait, sommes flattés, apitoyés, excités. Cette anxiété profonde qui lui est propre (quiconque n’arrive jamais moins d’une heure en retard aux rendez-vous, c’est qu’il est empêché de partir par l’incertitude et l’angoisse, non par la vanité ; et c’est l’angoisse, encore, la tension due à l’incessant besoin de plaire, qui pour une large part occasionne les fréquents maux de gorge dont elle est incommodée, ses ongles rongés, ses paumes moites, ses petits accès de rires gloussantes à la japonaise), c’est cela même qui nous incite à une chaleureuse et fondante sympathie, que ne fait rien pour abolir l’éclat de son attitude, pour le reste si flamboyante : peut-on imaginer rien de plus puissant, et de plus désarmant, de plus enjôleur qu’une personne trompettée en tous lieux et pour qui nous sommes suppliés d’être compatissants. Et nous sommes tout disposés à l’être : dans une telle situation, chaque participant peut dévorer à belles dents sa part, et tout le monde est content.
Sans cesse, on nous répète que Marilyn est une « institution », un « symbole » ; et son mari lui-même, l’auteur dramatique Arthur Miller, a écrit un article pour nous en informer. Mais les institutions tendent vers les ténèbres ; et les symboles sont choses plus dénuées de vie encore, et de sang : oui, ce sera un jour bien morne que celui où cette fille charmante, et vivante, acceptera avec le plus grand sérieux un emprisonnement verbal aussi glacé.

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